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Elles et ils se sont exprimé(e)s sur son travail

Exposition Self-Portraits - juillet 2020

Dans l’exposition de ses œuvres récentes qu’il présente à Paris en Juillet 2020, Valerio Fasciani aime à se montrer emprisonné. Mais ses cages en métal, en verre ou en corde, ne sont pourtant que le symbole de l’enfermement et n’en ont ni la réalité ni la contrainte. Bien au contraire, chacune d’elle offre à l’artiste un espace dédié au souvenir, au recueillement ou à l’appel. Toutes, protègent plus qu’elles n’isolent et montrent plus  qu’elles ne cachent.  
D’ailleurs, dans l’œuvre monumentale placée au centre de l’exposition, le masque est tombé, les noirs volatiles restent au dehors et l’onirisme de la couleur blanche semble inviter à rejoindre les rêves de l’artiste, ses désirs d’utopie et la douceur d’un monde qu’il ne parait pas disposé à quitter.
 
Marc Sanchez

Ancien directeur des programmes du Palais de Tokyo

Exposition Self-Portraits - juillet 2020

L’enfant construit un château dans le sable. Innocent, ouvert, concentré, rêveur  - comment voir la cage d’oiseau qui l’enferme dans l’impossibilité de réaliser son rêve ?

Cage transparente qui trompe l’âme libre, comment s’en apercevoir si ce n’est que son ombre projeté, rappel platonique, laisse soupçonner son existence ?

Où se trouve cet espace de liberté miroité par Picasso, interrogé par Magritte, l’espace qui invite à déployer ses ailes à l’instar des oiseaux, même les corbeaux ? Sans se rendre compte, l’enfant grandit avec sa cage, qui, elle, grandit aussi.

Libre enfin pour parcourir le monde, l’artiste reste pourtant enfermé. Lui et sa cage, lui dans la cage. Dans tous ses déplacements, il porte sa cage. De quoi est-elle faite ?

En captivité derrière des barrières infranchissables, voilà l’artiste en blanc, grandeur nature, ayant posé son masque vénitien, bravant le ridicule dans une cage métallique noire, gardé par des corbeaux, menaçants mais libres, enfermé dans une vitrine de la Galerie Berthet-Aittouares à Paris. Il ne demande qu’à sortir.

 

« Prison montrée n’est plus prison » dit Henri Michaux.

 

Pour l’artiste italien, venu de Rome, l’installation lui tient à cœur depuis 3 ans.

Il a réalisé son château de sable.

Le portrait est enfermé.

Lui, Valerio Fasciani, l’artiste, est libre.

 

​Vera Mihailovich-Dickman

Coordinatrice de l'interculturalité et professeure agrégée

Autrice de plusieurs ouvrages sur Henri Michaux

Exposition Self-Portraits - juillet 2020

VALERIO FASCIANI : LIBERTÉ POUR TOUS

 

Y-a-t-il pire prison sinon celle dont on dresse soi-même les barreaux ? C’est la question à laquelle Valerio Fasciani nous confronte à travers ses dernières installations.

Cet observateur minutieux du monde qui nous entoure et de la société en général, questionne ici la nature-même de l’homme, ainsi que les limites que celuis-ci impose à ses libertés.

Lors de sa récente exposition à Paris, c’est donc en cage, derrière de fragiles barreaux de verre, de corde ou de fil de fer, que cet artiste né à Rome en 1954, s’est représenté tel une fantomatique apparition.

En grand format ou en miniature, dans une sobriété de couleurs et de formes, il semble faire un clin d’œil à la pensée d’Etienne de La Boétie : trois autoportraits aussi poétiques que philosophiques déclinent différentes formes de « servitude volontaire ».

La religion et la politique font partie des principaux domaines de soumission auxquels il fait référence alors qu’un troisième, plus inattendu, occupe entièrement l’œuvre centrale, « Self portrait : les corbeaux ».

A première vue, il s’agit d’une scène exorcisant nos peurs, nos faiblesses, nos obsessions et idées noires.

Mais, bien que ce ne soit pas l’intention de l’artiste, on peut aussi imaginer une allusion directe au Coronavirus qui a rythmé toute l’année 2020, et a entraîné le tristement célèbre « confinement » auquel Valerio Fasciani qui vit entre Rome et Paris n’a évidemment pas échappé.

Une première réplique de l’artiste, tout immaculé et en 3D, entre en jeu dans cette prison faîte de cordes flottantes. Deux menaçants corbeaux y sont perchés en guise de mauvais présage. Comme dans une scène de film, ces deux oiseaux de proie aux aguets, libres de disposer d’eux-mêmes, semblent défier ce détenu volontaire. Celui-ci agrippe les barreaux en invoquant le Ciel, le priant de le libérer plutôt que prendre son destin en main et agir. Derrière lui, git un masque au bec crochu digne de la Commedia dell’arte.

Alors que l’artiste l’a pensé comme un simple déguisement d’oiseau dont on pourrait se revêtir pour se libérer -au moins mentalement-, l’objet, lui, symbôlise involontairement l’épidémie de peste noire qui a sévi en Italie au XVIIe siècle. Les médecins d’alors se préservaient de la maladie en revêtant cet étonnant masque muni d’un bec profond dans lequel quantité d’herbes étaient censées éloigner le mal.

Aussi sombre puisse paraître cette mise-en-scène, son issue n’est pas fatale pour autant.

Car plus qu’une véritable prison, lourde, métallique et indéverrouillable, on fait face à une cage légère aux barreaux fantoches. Un simulacre.

Celle-ci comme les deux autres, semblent avoir été dessinées d’un trait fragile dans l’atmosphère. Elles relèvent davantage d’une poétique cage aux oiseaux que de la claustrophobique geôle. On peut en sortir à tout moment.

Il en va de même avec les deux autres.

La fragile prison de verre, intitulée « Dieu Merci… » ramène l’artiste à un souvenir d’enfance, celui de sa première communion et ses présents. En nœud papillon et culottes courtes, agenouillé, le personnage est en prière. Il tourne le dos à un globe terrestre ainsi qu’à un tableau sur lequel est dessiné la célêbre colombe de paix de Picasso. Le personnage se détourne donc de l’art et des sciences, de la connaissance et de la réflexion, pour s’en remettre entre les mains de Dieu, le spirituel. Une fois encore, il est enfermé dans des croyances, cette fois, c’est la religion et plus particulièrement le catholicisme dans lequel l’artiste a été élevé qui est désigné.

Un peu plus loin, c’est la politique et l’idéologie qui sont remises en question par le biais de « Bandiera rossa ». Le titre rend hommage à un chant révolutionnaire italien fort connu. Dans une petite cage suspendue, un enfant bâtit un château de sable au centre duquel il a planté un drapeau rouge, celui de la révolution rouge, le communisme. On pense alors autant aux vingt ans de fascisme traversés par l’Italie jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale qu’à l’autorité actuelle d’un Salvini. La seule issue réside dans les utopies révolutionnaires de l’enfance.

Quel que soit le champ sur lequel il se concentre, les œuvres de Valerio Fasciani apparaissent comme des bulles de réflexion. Aériennes, en suspension dans l’atmosphère, mais loin d’être vides de sens, elles regorgent d’images, désignent sans dénoncer et revendiquent sans incriminer. Le parti-pris est chaque fois celui de la liberté, celle qui s’oppose à tout carcan et déterminisme, qu’il soit social, politique ou religieux.

Et qui est un meilleur exemple d’homme libre sinon l’artiste lui-même ? En la matière, Valerio Fasciani n’est pas en reste car qui ne s'est jamais laissé enchaîner ne saura jamais ce qu'est la liberté. Il est allé à l’encontre du déterminisme social à l’intérieur-même de son propre cercle familial dont il a brisé les conventions. Alors qu’il avait des dispositions pour la peinture et l’art dés son plus jeune âge, on le destinait à devenir banquier, comme son père. S’il a joué le jeu pendant quelques années, il s’est vite affranchi de sa mission et de son milieu en choisissant de vivre de son art au grand jour. Aujourd’hui connu comme restaurateur expert mais aussi copiste, Valerio Fasciani continue à sortir régulièrement de sa zone de confort. D’abord cantonné à une peinture plutôt classique, il a affiné son style d’année en année jusqu’à étendre son travail à la sculpture, la vidéo, la performance et l’installation comme ces dernières pièces poético-pop en témoignent.

Mais quel que soit le médium utilisé, c’est toujours la notion de liberté qui anime tout entier ce travail. Une réflexion quasi philosophique dans laquelle l’artiste nous fait cheminer sans fin, à l’image de son dernier projet.

Intitulé « Bleu infini », cette installation à l’état de maquette se compose d’une projection, de miroirs et de sable, et nous met face à l’immensité de la Terre-mère. Sur un mode biblique, cette œuvre immersive nous laisse nous prendre pour Moïse : pieds nus, sur une plage de sable, le visiteur avance avec l’impression de continuellement fendre les eaux. Sa seule limite est l’infini car rien ne saurait enfermer les esprits libres. Ni la politique ni la religion et encore moins un virus. C’est à cette infinitude de l’esprit et au rêve que Valerio Fasciani rend hommage, nous rappelant subtilement au passage que « Les utopies d’aujourd’hui sont les réalités de demain » (Victor Hugo).

 

Anaïd Demir

Autrice, journaliste, critique d’art et commissaire d’exposition

Exposition Self-Portraits - juillet 2020

3 cages, 3 fois Valerio Fasciani, au milieu d’un monde sans perspective qu’il ne cherche même pas à regarder. Qui peut dire si tout ça est un début ou une fin, un commencement ou un enterrement ? Une vérité ou une absurdité ? Une construction artistique ou l’acceptation tacite que l’œuvre et l’artiste sont rendus à leur solitude. Le travail de Valerio Fasciani ne cherche rien. Il se dérobe aux formules qu’on aimerait lui accolées de crainte de troubler le silence prostré de ces 3 répliques de lui-même. La captation de ces trois installations réside dans leur force d’inertie, leur puissance de résignation, leur incompréhension face un monde que l’on ne peut bouger, que l’on ne peut choisir, que l’on ne peut changer. 

On pourrait parler de l’Italie, certes, de la résignation Salvinienne à un fascisme ordinaire, de l’accablement, le cul parterre, prostré au cœur d’une nation sans force qui semble avoir renoncé à ses idéaux. On pourrait invoquer la plasticité car tout là est harmonie, précision, élégance irréprochable d’orfèvre. « Ces représentations sont ma personne et je voulais qu’elles soient reconnaissables » dit Valerio, voulant par là nous signifier clairement, qu’il ne peut rien nous donner d’autre que lui-même. Enfermé ? même pas vraiment. Enroulé plutôt dans des cages de verre, de cordes, de fils de fer, autant d’illusions qui ne prennent corps que dans les schémas de pensées dont nous restons esclaves.

Reliques de l’enfance, réduits de croyances obsolètes, enclaves dérisoires qui nous sont laissées pour nous mouvoir, nous penser, nous questionner, mais aussi nous protéger face à un monde de plus en plus hostile et anxiogène, prémonitoire d’un univers de masques, de distanciation forcée entre les êtres. Un espace déshumanisé ou nous sommes progressivement emmenés à devenir les uns pour les autres de simples répliques solitaires.

Laurent de Bartillat

Scénariste et réalisateur

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